Suite du compte rendu du colloque du 14 février 2019

.Suite du compte rendu du colloque du 14 février 2019

Quelle prise en charge et quel parcours du patient épileptique en 2019 ?
Deuxième table ronde : quand les médicaments ne fonctionnent pas

Docteur Bertrand Mathon, neurochirurgien de l’épilepsie à la Pitié-Salpêtrière

Professeur Sylvain Rheims, neurologue épileptologue au CHU de Lyon

Professeur Vincent Navarro, neurologue adulte, spécialiste de l’épilepsie à la Pitié-Salpêtrière

Monsieur David Gruson, Directeur Programme Santé Jouve et fondateur Ethik-IA

Madame Marion Danse, Infirmière diplômée d’État (IDE)

Monsieur Alan Dohen, père d’une enfant épileptique
Mme Le Bazhere, patiente

1. Alternative des traitements pour les adultes comme pour les enfants : chirurgie, VNS, régime cétogène

Chirurgie

Professeur Sylvain Rheims : 

” En termes de traitement de l’épilepsie, nous sommes face à une alternative : rechercher la guérison ou aider à la stabilisation de la maladie sans pour autant viser la guérison. Dans ce cadre, chez certains patients adultes, la chirurgie de l’épilepsie tend à supprimer les crises. Le nombre de patients éligibles à ce type d’opération est assez faible, et ceux qui, à l’issue de l’opération, sont totalement guéris est encore plus faible. Ainsi, si à l’échelle collective, la situation n’est pas totalement encourageante, à l’échelle individuelle, la question de tenter une opération se pose.

Les critères d’éligibilité sont les suivants : Il faut qu’il existe une pharmaco-résistance. La région du cerveau d’où proviennent les crises doit nous amener à envisager une hypothèse d’opération relativement bonne. Donc, ne peuvent être éligibles que des épilepsies focales, très localisées dans une région du cerveau qui n’est pas liée à une fonction de base comme le langage. Nous avons opéré trois cents patients. Sur ces trois cents patients, 60 sont libres de crises avec un médicament. La prudence consiste à ne pas arrêter les médicaments, en tenant compte des zones du cerveau concernées. La durée moyenne avant de se faire opérer est de quinze ans de pharmaco-résistance. Il est parfois possible d’opérer les enfants dès la première année de vie, il existe des outils spécifiques compte tenu des aires de langage.”

Docteur Bertrand Mathon

” Le travail d’un neurochirurgien n’est jamais solitaire, les neurochirurgiens travaillent en équipes avec les neurologues médicaux. Il existe peu de centres pratiquant ce type d’opération en France, ce sont de petites équipes. Personnellement, je travaille en liaison avec le professeur Navarro à la Pitié-Salpêtrière. Le but de la chirurgie, c’est d’améliorer la qualité de vie du patient, la prise en charge est donc globale : neurologue, psychiatre, psychomotricien… La volonté est de ne pas engendrer un déficit et/ou de ne pas aggraver un trouble de type cognitif, une dépression… Les équipes font tout pour limiter les effets secondaires. Cette approche se révèle donc distincte de l’approche chirurgicale d’une tumeur du cerveau par exemple. Ce type de chirurgie est très bien maîtrisé au niveau technique, avec des risques mineurs.”

Professeur Vincent Navarro

” Dans ce cas, on constate une disparition des crises, une amélioration de la qualité de vie, une joie renforcée. Il faut noter que lors de l’évaluation pré-chirurgicale certains patients correspondant aux critères d’éligibilité renoncent à se faire opérer par peur de l’opération.”

Madame Marion Danse

” Dans notre service, un patient de 16 ans s’est fait opérer récemment. Il ne voulait pas envisager l’opération, jusqu’à ce qu’il rencontre des patients ayant été opérés. Il faut opérer quand le patient le souhaite et se sent prêt.”

Professeur Sylvain Rheims

” La chirurgie de l’épilepsie a presque été inventée en France, notamment à Sainte-Anne. Les centres qui pratiquent la chirurgie de l’épilepsie en France sont très compétents, ces équipes se sont construites depuis vingt ou trente ans, avec un historique, un développement des compétences. Les médecins et chirurgiens prennent les décisions en binômes.”

Stimulateur du nerf vague

Docteur Bertrand Mathon

” À la Pitié-Salpêtrière nous pratiquons autant de chirurgie du nerf vague que de chirurgie de l’épilepsie. Le nombre d’opérations pourrait être plus important, le but étant donc d’améliorer la qualité de vie en essayant d’alléger les traitements des patients pas de les guérir de l’épilepsie. La chirurgie du nerf vague est une chirurgie palliative pas curative. Elle est désormais accessible en ambulatoire et dure d’une demi-heure à trois quarts d’heure, le taux de complication est extrêmement faible. Le matériel est implanté sous la peau, ce que certains patients n’aiment pas. Il faut une période de réglage de quelques mois pour arriver à une stimulation correcte. Dans certains centres la liste d’attente pour une chirurgie de l’épilepsie est longue, on peut proposer de poser transitoirement un stimulateur du nerf vague avant d’attendre la fin du bilan préopératoire.”

Régime cétogène

Professeur Stéphane Auvin

” En ce qui concerne le régime cétogène, on ne connaît pas exactement le mécanisme d’action et pourtant ça marche. Il existe un très bon taux de réponse pour certains symptômes. On peut également, recourir à ce régime en attendant une opération. Il y a deux écueils, la limitation du sucre, deux morceaux au maximum, parce que ce n’est pas bon et le changement brutal d’alimentation avec essentiellement protéines et graisses. Il faut veiller aux effets secondaires et au risque de maladie. Le médecin pose l’indication du régime cétogène mais c’est l’infirmière qui réalise l’éducation thérapeutique et s’occupe du suivi des effets secondaires et de l’impact du régime sur la vie quotidienne.”

LES GRANDS TÉMOINS DE LA FFRE

Mme Le Bazhere : ” J’ai été opérée il y a onze ans. Depuis, je n’ai plus crise. Auparavant, je souffrais d’une épilepsie pharmaco-résistante avec des crises quotidiennes, liée à une méningite que j’ai eue à l’âge de deux ans. J’ai une hygiène de vie normale, sans rien de particulier à signaler.”

M.Alan Dohen : ” Je suis père d’une petite fille âgée de onze ans souffrant d’épilepsie. Le diagnostic a été posé lorsqu’elle avait trois ans, sa maladie étant liée à une malformation neurologique. Ma fille fait partie des patients qui résistent à toute forme de traitement. En huit ans, huit traitements ont été essayés, avec la nécessité d’arbitrer entre la stabilisation de l’épilepsie et la limitation des effets secondaires quitte à laisser advenir des crises. Le neurologue a donc proposé de mettre en place le régime cétogène. Depuis, ma fille vit avec deux crises d’épilepsie par jour, d’une durée de deux-trois minutes chacune. Il lui faut environ trois quart d’heure pour récupérer en dormant après chaque crise. En conséquence, elle a deux ans de retard dans son parcours scolaire. Tout cela est difficile à vivre à 11 ans.”

2. Rôle de l’infirmier(-ière) dans la stratégie non médicamenteuse

Madame Marion Danse

” Pour ce qui est du stimulateur pour les enfants, il faut tenir compte de la position particulière des parents qui sont dans une nécessité de soin par rapport à leur enfant, d’autant que la période de réglage est souvent difficile. Pour le régime cétogène, les parents de jeunes enfants subissent une forte pression : faire manger un enfant revient à le soigner, il faut y consacrer du temps, essayer de concocter de bons repas, trouver des astuces… La famille tout entière est obligée de s’y mettre et, comme pour tout régime de santé, il ne peut y avoir aucune improvisation. Chez l’adulte, le régime cétogène marche bien, mais les adultes ne sont pas contrôlés par autrui, le taux d’observance est donc moindre, les adultes s’autorisant des transgressions…”

3. Comment surveiller les patients quand ils font des crises ?

Professeur Sylvain Rheims

” Pour le moment, il n’existe pas de système pour anticiper les crises, on essaye de les prédire depuis vingt ans mais pour le moment, il n’y a rien de convaincant. Espérons qu’à long terme, on découvrira un système efficace. En revanche, afin de surveiller les patients quand ils font des crises, plu- sieurs dispositifs peuvent être proposés, pour que les aidants puissent intervenir et assurer la sécurité des patients lors des crises. C’est l’objectif principal de ces systèmes notamment en ce qui concerne les crises généralisées qui ont lieu la nuit avec un risque de chute et la peur d’un arrêt respiratoire. Il existe différents systèmes que l’on installe autour du bras, sur le lit, ou le matelas ; ils sont facilement accessibles avec une bonne efficacité, surtout pour les crises convulsives de nuit. Ces dispositifs ne sont pas pris en charge par le système de santé mais peuvent être intégrés dans un protocole avec la MDPH. À titre personnel, je pense que ces dispositifs peuvent aider certains patients à domicile et devraient être généralisés dans les établissements qui reçoivent des patients épileptiques. Sur la question des chiens d’assistance, chiens détecteurs, comme celui d’Emma, l’égérie de la FFRE, des études sont en cours, notamment à l’université de Rennes, avec peu d’éléments de certitude pour le moment.”

Professeur Vincent Navarro

” De plus en plus de patients sont intéressés par les chiens d’assistance, on parle de chiens détecteurs de crises. Il faut apprendre à son chien à bien réagir, savoir gérer le stress voire la panique du chien. Ce qui est certain c’est que l’on constate l’effet positif d’un animal de compagnie peut être constaté, une sorte « d’aidant en plus » qui prévient en aboyant… Il reste un grand travail à faire pour savoir ce que sont capables de faire ces chiens. Peut-être sont-ils à même de déceler d’infimes changements de comportement qui interviennent chez leur maître juste avant une crise d’épilepsie ?

Madame Marion Danse

” Une de nos jeunes patientes a un chien d’assistance, ce qui a permis à la famille de se tranquilliser. Le coût est important, environ 20 000 euros, à comparer aux quelques centaines d’euros par an, abonnement compris, pour une surveillance connectée. En pédiatrie, les parents utilisent souvent le baby phone, mais cela tend à les angoisser encore davantage.”

4. Et demain, l’intelligence artificielle au secours de l’épilepsie ?

Intervention de Monsieur David Gruson, administrateur de la FFRE. Directeur Programme Santé Jouve. Fondateur Ethik-IA

” Je suis le père de deux petits garçons qui, comme moi, au-delà d’un certain seuil de température déclenchent des crises convulsives qui peuvent s’apparenter à des crises épileptiques ; c’est pourquoi ils ont donc d’abord été diagnostiqués à tort comme épileptiques.

En matière d’intelligence artificielle appliquée à la santé, l’idée est d’utiliser les données de santé pour améliorer la prise en charge et faire avancer la recherche. Traiter des données massives pour faire émerger des hypothèses, utiliser la reconnaissance d’image par les machines, à l’exemple de la mammographie, développer la capacité de diagnostic par analyse d’image, comme en diabétologie ou pour les images rétiniennes. Une centaine d’équipes font des expériences en ce sens dans le monde. Aux États-Unis, une équipe travaille à l’élaboration de micro systèmes implantables en intracrânien pour mieux diagnostiquer l’épilepsie. En Chine, le deep learning a permis d’appliquer des algorithmes à des patients chinois présentant des formes d’épilepsie pédiatriques les plus courantes. Une équipe française Predict, travaille sur les causes de l’épilepsie. Des équipes font aussi de l’I.A. sans le savoir à travers les études de cohortes. Il est trop tôt pour dire si cela débouchera sur un progrès, mais la recherche avance. C’est pourquoi la FFRE veut suivre ces avancées possibles.”

ÉCHANGES AVEC LE PUBLIC

TÉMOIGNAGE DANS LA SALLE : Le réglage d’une VNS prend souvent plus de six mois. En ce qui me concerne, cela a duré un an. Il faut prévenir la famille et prendre en compte qu’en cas de traitement médicamenteux à vie, limiter les médicaments, c’est aussi soulager le foie.

QUESTION : Le régime cétogène peut-il s’inscrire dans la durée ? Est-il toxique ?

MME MARION DANSE : Chez les adultes, il peut être poursuivi à vie même s’il faut faire attention aux effets secondaires, notamment la lithiase rénale et le cholestérol. Chez les enfants, l’observance du régime cétogène est de deux mois minimum à deux ans sauf dans les cas de jeunes patients épileptiques qui ne peuvent pas s’en passer.

QUESTION : Le Wifi, les téléphones portables, les compteurs connectés peuvent-ils déclencher des crises d’épilepsie ?

PR VINCENT NAVARRO : Je ne pense pas qu’il faille accuser ces innovations, il n’y a pas d’arguments scientifiques en ce sens.

QUESTION DANS LA SALLE : Peut-on acheter du CBD sur internet ?

RÉPONSE DU PR STÉPHANE AUVIN : On en trouve mais on ne sait pas comment il est fabriqué, il faut faire attention à la qualité quelque soit ce que le revendeur dit. Ils ne sont pas soumis à des contrôles qualités. De plus, c’est illégal, on ne peut pas exclure le risque d’une condamnation. Cela pose la question de la responsabilité des médecins : doivent- ils laisser les patients qui se fournissent en CBD sur internet se débrouiller seuls ou bien les guider, notamment à cause des effets secondaires. Il existe en plus des interactions médicamenteuses avec le CBD. Sans favoriser l’utilisation de ces produits trouvés sur internet, il vaut mieux, à mon sens, guider les familles qui ont fait ce choix malgré que les limitations leur aient été expliquées plutôt que de laisser exposer les enfants à un risque.

LA SUITE DU COMPTE-RENDU DU COLLOQUE PARAÎTRA DANS NOTRE PROCHAINE REVUE EN MARS 2020.

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