Recherche fondamentale et épilepsie : des travaux prometteurs.

Avec trois spécialistes du domaine que sont Etienne Audinat, Alfonso Represa et Antoine Depaulis, découvrez comment la recherche fondamentale en épilepsie n’a pas échappé aux évolutions technologiques et conceptuelles spectaculaires des 15 dernières années…

La recherche fondamentale en neurosciences a pour objectif de comprendre les mécanismes de fonctionnement du cerveau et comment les dysfonctionnements de ces mécanismes, sous des contraintes internes (génétiques) ou externes (trauma, infection, etc.), entraînent l’apparition d’une pathologie. La recherche fondamentale en épilepsie au cours des 10-15 dernières années n’a pas échappé aux évolutions technologiques et conceptuelles spectaculaires qui sont en train de révolutionner le champ des neurosciences. Ces avancées ont permis d’une part d’identifier plus précisément les dysfonctionnements cellulaires et moléculaires qui conduisent au développement de différentes formes d’épilepsies et, d’autre part, d’envisager de nouvelles solutions thérapeutiques, notamment basées sur la thérapie génique.

Vers une meilleure compréhension de l’épileptogenèse

Un effort particulier de la recherche sur l’épilepsie a porté ces dernières années sur les mécanismes qui interviennent lors du développement d’une épilepsie, ce qu’on appelle l’épileptogenèse. Il n’existe évidemment pas un seul processus qui conduise des milliers voire des millions de neurones à s’activer au même moment.
Étudier ce qui se passe avant la première crise est impossible chez l’Homme et il est indispensable d’utiliser des modèles animaux (essentiellement le rat et la souris) d’épilepsie chronique dans lesquels une phase d’épileptogenèse peut être clairement identifiée. Certains modèles reproduisent chez l’animal un événement (traumatisme crânien, crise fébrile, état de mal) que l’on retrouve souvent dans l’histoire de patients avec des épilepsies focales. D’autres, obtenus par sélection d’animaux qui présentent naturellement des crises ou à la suite d’une manipulation génétique, permettent également de comprendre les modifications morphologiques ou fonctionnelles qui conduisent au développement d’une épilepsie idiopathique. Dans ces modèles, l’utilisation chronique pendant la phase d’épileptogenèse d’un médicament antiépileptique n’a pas d’effet probant. Les médicaments antiépileptiques bloquent les crises chez l’Homme comme dans les modèles animaux, mais ne permettent pas d’enrayer le processus d’épileptogenèse ni d’en inverser les conséquences : à l’arrêt du traitement, les crises reviennent. Il est donc nécessaire de mieux comprendre comment le cerveau est remodelé pendant l’épileptogenèse pour espérer inverser le processus et développer de nouvelles stratégies thérapeutiques.
Au cours de ces dernières années, plusieurs équipes ont montré le rôle des réactions inflammatoires impliquant notamment les cellules gliales (astrocytes, microglies), dans le développement d’un foyer épileptique, surtout dans les épilepsies focales. D’autres ont montré que des mécanismes moléculaires impliquant une protéine appelée mTOR, qui intervient aussi dans certains processus cancéreux, intervenaient dans l’épileptogenèse de certaines formes d’épilepsie, notamment celles associées à une sclérose tubéreuse. Dans les deux cas, des études cliniques et précliniques sont en cours qui utilisent des anti-inflammatoires ou des inhibiteurs de la voie mTOR. Dans le cas des épilepsies idiopathiques, les modèles génétiques et transgéniques suggèrent qu’au cours de la maturation du cortex, qui se déroule pendant les 2-3 semaines qui suivent la naissance chez les rongeurs et les 15 premières années de vie chez l’homme, des circuits nerveux anormaux peuvent se mettre en place. L’étude de la connectivité de ces circuits qui deviennent générateurs de crises est actuellement en plein essor avec l’utilisation de nouvelles techniques d’imagerie et de marquage de ces circuits.

Le cas des cellules gliales

En plus des neurones, le cerveau contient d’autres cellules appelées cellules gliales. Certaines de ces cellules, les astrocytes, jouent un rôle de soutien en apportant aux neurones l’énergie dont ils ont besoin pour fonctionner et en éliminant les produits résultants de leur activité. D’autres cellules gliales, les microglies, ont un rôle immunitaire en surveillant l’intégrité (ou la bonne santé) du cerveau. On sait maintenant grâce à des études récentes que ces cellules influencent aussi directement l’activité des neurones en libérant des molécules capables d’activer, d’inhiber ou de synchroniser les neurones. L’étude des modèles animaux a montré que dès les premières phases de l’épileptogenèse, les astrocytes et les microglies des régions cérébrales touchées modifient certaines de leurs propriétés et contribuent activement aux modifications fonctionnelles et structurales des réseaux de neurones. De façon remarquable, certaines de ces modifications sont plutôt bénéfiques alors que d’autres sont délétères. Les efforts de la recherche portent donc actuellement sur une meilleure compréhension de ces deux visages de la glie. Dans la mesure où certaines de ces modifications perdurent au-delà de l’épileptogenèse, il est envisageable que des interventions ciblant les cellules gliales pendant la phase chronique puissent inverser en partie les modifications résultant de l’épileptogenèse, et ceci d’autant plus que les cellules gliales sont encore plus « plastiques » que les neurones, c’est-à-dire qu’elles modifient leurs propriétés très rapidement en fonction des messages qu’elles reçoivent de leur environnement. Finalement, si la plupart des antiépileptiques actuels ciblent tous les neurones du cerveau, aussi bien les neurones malades que les neurones sains, les changements de propriétés des cellules gliales propres aux zones épileptiques pourraient permettre le développement de stratégies médicamenteuses plus ciblées et avec moins d’effets secondaires.

La thérapie génique

Les avancées dans les domaines de la génétique et de la biologie moléculaire nous permettent maintenant de manipuler l’activité des neurones, dans le sens d’une augmentation (excitation) ou d’une diminution (inhibition). Trois stratégies différentes ont été jusqu’ici étudiées dans les modèles animaux d’épilepsie en introduisant au niveau de foyers épileptiques du matériel génétique exogène permettant de faire produire par les neurones :

  1. Des protéines de leur membrane cellulaire appelées canaux ioniques qui vont directement s’opposer à la génération des potentiels d’action (influx nerveux), rendant donc ces neurones silencieux. Ces canaux peuvent être actifs constitutivement ou bien être stimulés par la lumière (optogénétique), ce qui nécessite l’implantation intracrânienne de fibres permettant d’illuminer les neurones.
  2. D’autres protéines de la membrane appelées « récepteurs inhibiteurs synthétiques » qui ont été créées pour être activées uniquement par un agent pharmacochimique synthétique qui doit être apporté de façon exogène (voie intraveineuse ou intrapéritonéale). Ceci permet un contrôle temporel très spécifique de l’activation du récepteur.
  3. Des outils codés génétiquement pour réduire l’expression des gènes ou des protéines des neurones qui sont responsables de leur hyperexcitabilité.

Bien que ces recherches soient à un stade très préliminaire, elles ouvrent des perspectives prometteuses et pourraient être utilisées non seulement pour traiter l’épilepsie, mais aussi pour prévenir son développement après une lésion cérébrale (comme un traumatisme crânien ou un état épileptique).

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Les neurosciences : un domaine en pleine évolution
Les neurosciences de la fin du 20e siècle, suivant une approche plutôt réductionniste, ont été marquées par des avancées spectaculaires dans l’étude à l’échelle moléculaire. Le début du 21e siècle est lui marqué du sceau des neurosciences intégratives, c’est-à-dire de l’étude du système nerveux central dans sa complexité et sa diversité. L’essor des neurosciences auquel nous assistons actuellement tient au fait que ces deux niveaux d’analyse se rejoignent et se nourrissent mutuellement. En particulier, les avancées dans le domaine de la génétique et de l’ingénierie moléculaire fournissent aux chercheurs des outils et des modèles animaux qui permettent une précision jusqu’alors inégalée dans nos capacités à observer et à modifier le système pour en comprendre le fonctionnement. En parallèle, les interactions avec nos collègues physiciens et chimistes ont permis de développer de nouvelles méthodes d’investigation fonctionnelle beaucoup plus précises. Cela nous permet actuellement de suivre en parallèle l’activité de centaines, voire de milliers de cellules du cerveau d’un animal de laboratoire effectuant une tâche précise ou pendant les différentes phases d’une maladie. Autrement dit, nous sommes passés de l’étude de quelques cellules dans un tube à essai ou une boîte de Pétri à celle de réseaux complexes de cellules en interaction dans leur environnement naturel (in vivo), tout en gardant le même niveau de précision voire un niveau encore meilleur. Cela représente un avantage indiscutable dans le cadre de l’étude de pathologies comme l’épilepsie qui se manifestent par un dysfonctionnement de l’activité de réseaux de neurones et qui ne peuvent donc pas être réduites à l’étude d’un neurone isolé. Le défi que représente l’accès à ces nouvelles technologies est celui du traitement des données collectées pendant les expériences, qui sont de plusieurs ordres de grandeur et bien supérieures à ce que les neurobiologistes ont eu à traiter jusqu’à présent. Les interactions avec la physique, les mathématiques et l’informatique seront donc sans doute essentielles à l’avenir pour gérer et analyser cette quantité de données, mais aussi pour générer des modèles et ainsi mieux comprendre les mécanismes complexes de fonctionnement du cerveau.

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