Soigner l’épilepsie, quels progrès dans les traitements médicamenteux?

Avec Sylvain Rheims, neurologue épileptologue à Lyon, faisons le point sur ce que les développements en termes de molécules ont apporté ces dernières années aux patients et ce que l’on peut espérer dans les années à venir…

Au cours des vingt dernières années le nombre de molécules disponibles dans le traitement de l’épilepsie n’a cessé de grandir, arrivant à une quinzaine. Il est néanmoins légitime de s’interroger sur ce que ces développements ont réellement apporté à la prise en charge et sur ce que nous pourrions espérer dans les années à venir.

L’un des principaux constats que nous faisons lorsque nous regardons nos moyens thérapeutiques dans l’épilepsie est que malheureusement, toutes les molécules dont nous disposons restent des molécules limitées à un effet anti-crise. En effet, nous ne disposons d’aucune molécule qui ait démontré un effet anti-épileptogène, c’est-à-dire une efficacité pour prévenir l’émergence d’une épilepsie chez des patients à haut risque. Qu’il s’agisse d’un traitement préventif au décours d’un accident vasculaire cérébral, d’un traumatisme crânien sévère ou dans des contextes tumoraux, aucune molécule ne permet de diminuer le risque de développer à terme une épilepsie. Bien qu’il soit probable que ceci témoigne de l’absence de thérapeutique ciblant spécifiquement des voies moléculaires impliquées dans l’épileptogenèse, cet objectif reste l’un des principaux que la communauté épileptologique espère voir atteints.

Au-delà de la question de l’efficacité anti-épileptogène, l’efficacité antiépileptique des nouveaux traitements se doit d’être discutée. Dans la célèbre étude de l’équipe de Glasgow publiée en 2000 et dont les résultats reflétaient principalement l’utilisation des antiépileptiques dits de première génération (carbamazépine, phénytoïne, phénobarbital, valproate de sodium), la proportion de patients pharmacorésistants était de 37 %. Douze ans plus tard, à une époque où la pharmacopée s’était enrichie des principales molécules de seconde génération, la proportion de patients pharmacorésitants n’avait diminué que de 4 % pour atteindre 33 %. De ces études semble ainsi ressortir la notion que globalement, les nouveaux antiépileptiques n’ont pas apporté de réels gains d’efficacité par rapport aux antiépileptiques de première génération. Si ceci semble vrai sur le plan épidémiologique, il apparaît néanmoins important de pondérer ce jugement sévère vis-à-vis du développement thérapeutique en épileptologie.

En premier lieu, à l’échelle individuelle, il a été montré que certains patients souffrant d’une épilepsie pharmacorésistante vont tout de même répondre à un nouveau traitement, dans des proportions qui ont pu aller jusqu’à 17-20 % dans certaines études cohortes. Même si souvent cette rémission est transitoire, l’impact positif de ces périodes de contrôle des crises sur la qualité de vie, sur les comorbidités ou sur le risque de mort soudaine inattendue dans l’épilepsie (SUDEP) ne peut en aucun cas être négligé. De même et pour les mêmes raisons, l’impact positif des modifications de traitements sur les crises les plus sévères et en particulier les crises convulsives tonico-cloniques ne doit pas être oublié.
En second lieu, la démultiplication des options thérapeutiques nous permet à présent d’appréhender de manière beaucoup plus efficiente la gestion des effets secondaires et des risques associés au traitement antiépileptique, un aspect dont il est à présent bien connu qu’il conditionne de manière prédominante la qualité de vie des patients souffrant d’épilepsie pharmacorésistante. Nous pouvons ainsi adopter une approche individuelle de la prescription prenant en compte le sexe et l’âge du patient, les potentielles interactions pharmacocinétiques, les risques cognitifs, en particulier chez les enfants, et les comorbidités qui pourraient se voir aggraver par un médicament mal adapté. Parmi les exemples les plus évidents pouvant être cités ici, on trouve bien sûr la problématique de la grossesse et des risques associés à l’exposition in utero aux antiépileptiques. Il est certain que sur cet aspect, nous avons fortement besoin que la recherche reste active pour évaluer de manière rigoureuse les risques associés aux antiépileptiques les plus récents, tant sur le plan malformatif que sur le plan cognitif. Néanmoins, les progrès réalisés au cours des 15 dernières années ont sans aucune ambiguïté profondément modifiés les pratiques.

Prenant tout cela en compte, que pouvons-nous attendre des années à venir ? Comme évoqué ci-dessus, bien que la mise à disposition de traitement antiépileptogène reste une sorte de Graal de l’épileptologie, cet objectif semble difficilement atteignable à court ou moyen terme, en raison de nombreux obstacles. Outre les limites de nos connaissances physiopathologiques, qui permettraient de développer de réelles thérapeutiques innovantes, nous sommes confrontés à la difficulté de l’évaluation clinique de ces nouvelles molécules. En effet, nos capacités à identifier les patients qui vont réellement développer une épilepsie à distance d’une lésion cérébrale restent limitées. Dans ce contexte, la démonstration d’un effet au sein d’une population très hétérogène devient un objectif très difficilement atteignable.

Une alternative entre traitement préventif et traitement exclusivement symptomatique, c’est-à-dire anti-crise, est représentée par les traitements administrés chez des patients souffrant d’une épilepsie, mais ayant un impact direct sur l’évolution de la pathologie. Au cours des dernières années, les plus grands espoirs de nouveautés thérapeutiques se sont ainsi focalisés sur ces « disease-modifying therapy ». Si les résultats restent variables, témoignant là encore de la difficulté de l’exercice, certaines données ouvrent une porte à l’optimisme. Deux exemples illustrent cette situation :

  • Au cours des 10 dernières années, une attention intense a été portée sur la relation entre processus inflammatoire et épilepsie. De nombreux travaux ont ainsi suggéré un rôle important de l’inflammation dans le processus épileptogène, par exemple à travers les modifications induites sur la transmission glutamatergique par l’activation de la voie de l’interleukine IB. La force de ces data a conduit à la mise en place d’essais thérapeutiques de phase II ciblant cette voie, le VX765. Malheureusement cet essai s’est avéré négatif en 2012. Depuis, bien que la recherche autour de la relation entre inflammation et épilepsie reste très active, aucun développement n’a vu le jour et aucune étude en cours de traitement ciblant cet axe n’est référencée à l’échelle internationale.
  • Le contre-exemple est celui de la sclérose tubéreuse de Bourneville. Cette dernière est liée à une anomalie génétique de la régulation de la voie mTOR, anomalie à l’origine des diverses complications évolutives de la maladie sur le plan rénal, mais également sur le plan neurologique à travers la survenue d’astrocytomes géants. Ceci avait initialement conduit à développer, avec succès, l’utilisation d’inhibiteurs de la voie mTOR dans le traitement de ces complications. Or, de nombreuses données expérimentales ont suggéré qu’au-delà de la question des lésions expansives, la dérégulation de la voie mTOR est également impliquée dans le processus épileptogène. Ceci a conduit à la discussion de l’utilisation d’inhibiteurs de la voie mTOR comme traitement de l’épilepsie hors contexte tumoral, avec récemment la démonstration de l’efficacité de cette approche. Prenant en compte les situations hors sclérose tubéreuse de Bourneville dans lesquelles l’implication d’une dérégulation de la voie mTOR a également été suggérée, il pourrait être envisagé de voir arriver des prises réellement innovantes, par exemple dans les dysplasies corticales focales.

En dernier lieu, à côté des traitements visant à diminuer la fréquence et la sévérité des crises, un autre aspect que nous espérons pouvoir améliorer est la prise en charge des comorbidités. Ces dernières, dont il ne fait aucun doute qu’elles conditionnent la qualité de vie et une partie du pronostic à long terme, restent à l’heure actuelle vierges de prise en charge spécifique. L’un des exemples les plus forts est celui de la prise en charge préventive des SUDEP. À ce jour, nous ne disposons d’aucun traitement préventif. Bien qu’il puisse être discuté que l’impact sur les crises de traitements plus efficaces pourrait diminuer cette problématique, il apparaît peu probable qu’elle disparaisse pour autant. Associer un effort spécifique pour le développement de traitements préventifs des SUDEP reste par conséquent un complément majeur aux efforts pour identifier de nouveaux traitements antiépileptiques. Même si le chemin est sans aucun doute encore long, le très important élan international sur cette question au sein duquel la recherche française joue un rôle important peut nous laisser espérer que nous disposerons de tels traitements à échéances de 10-15 ans.

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