Phosphorylation développementale de KCC2, un contexte physio-pathologique

Lucie PISELLA, Institut de neurobiologie de la méditerranée (INMED) UMR 901, Marseille

1/ En quoi consiste le projet pour lequel vous avez obtenu le financement de la FFRE ?
Le GABA est le principal transmetteur de l’inhibition dans le cerveau, un dysfonctionnement de sa part et l’excitation prend le dessus ; c’est ce qui a été observé dans plusieurs pathologies et notamment l’épilepsie. L’efficacité du GABA dépend de l’activité de la protéine KCC2. Le but de ce projet est de déterminer l’implication d’une mauvaise régulation de la protéine KCC2 dans les épilepsies de l’enfant. En effet,  récemment, chez des patients souffrant de différents types d’épilepsies et notamment d’épilepsie de l’enfant des chercheurs ont trouvé des mutations présentent sur la protéine KCC2. Ces mutations affectent la localisation de la protéine dans les neurones diminuant ainsi son activité.  Notre hypothèse est que ce défaut de régulation de la protéine, en altérant l’efficacité du GABA et donc l’inhibition dans le cerveau, est la cause de certaines épilepsies de l’enfant. Pour tester cette hypothèse nous avons créé un modèle de souris transgénique, plus pertinent au vu des données cliniques, présentant une mutation qui modifie la localisation dans les neurones de KCC2. Nous avons préalablement effectué une batterie de tests biochimiques, électrophysiologiques, et comportementaux qui montrent que la dérégulation de la protéine induit une diminution de l’inhibition GABAergique, une hyperexcitabilité du réseau, des altérations comportementales ainsi que différents troubles pouvant générer des épilepsies infantiles. La suite de ce projet consistera à déterminer si notre modèle in vivo présente une susceptibilité accrue à générer des crises et si l'hyperexcitabilité peut générer elle-même des crises spontanées en EEG (Electroencéphalographie).

2/ Quels sont les résultats attendus ?
Les résultats préliminaires que nous avons obtenus, dans notre modèle murin, montrent qu'une modification de la localisation de KCC2 induit des modifications de la formation du réseau neuronale typiques des épilepsies dès 15 jours de vie (hyperexcitabilité des neurones, diminution de l’inhibition). De plus, nous avons pu mettre en évidence des altérations de comportement avec une modification de la communication chez le nouveau-né ainsi qu'un défaut de sociabilité chez l'adulte ; deux symptômes comportementaux pouvant être apparentés à des comorbidités liées à l'épilepsie. Ces résultats soulèvent 2 questions clés :
-Un défaut de localisation de la protéine peut-il mener à des épilepsies de l'enfant ?
-Ces défauts sont-ils liés à l’altération de l’inhibition GABAergique ?
Pour cela, dans un premier temps nous avons décidé : de tester dans notre modèle murin la susceptibilité à générer des crises à 15 jours de vie et d'effectuer des EEGs chez le jeune et l'adulte. Au vu des résultats électrophysiologiques déjà acquis nous nous attendons à ce que notre modèle murin présente une susceptibilité accrue à générer des crises chez le jeune. De même, en EEG, nous nous attendons à observer des crises spontanées ou des activités corticales anormales.
Comme de multiples protéines présentent dans l’organisme KCC2 possède plusieurs rôles important pour le bon fonctionnement de la cellule. De ce fait nous voulons nous assurer que les défauts observés sont bien liés à l’incapacité de KCC2 à réguler l’inhibition GABAergique. Pour cela, nous allons restaurer artificiellement l’inhibition GABAergique. Nous espérons observer une diminution voir une suppression des symptômes épileptiques présents chez nos souris KCC2e/+.

3/ En quoi peuvent-ils améliorer la vie des patients et dans quels délais ?
Notre recherche aura un impact à court et long terme sur les patients.
En effet, au cours de ces 4 dernières années grâce à l'amélioration des techniques de séquençage les cliniciens ont trouvés plus de 6 mutations de KCC2 présentes chez des patients présentant différents types d'épilepsie mais aussi d'autres pathologies telles que l'autisme et la schizophrénie. Bien que cette protéine soit étudiée depuis des dizaines d'années, à l'heure actuelle les connaissances sur son fonctionnement sont limitées.
Pour les patients l'établissement d'un diagnostic est primordial. Mais au-delà du diagnostic comprendre les conséquences de la mutation sur l'organisme pourra, je l'espère, les aider ainsi que leurs familles et leurs entourages au quotidien dans la gestion de leur pathologie.
Cependant, le rôle de la recherche fondamentale n'est pas seulement d'apporter une meilleure compréhension de l'organisme vivant, mais également d'apporter des solutions aux dysfonctionnements de celui-ci. La finalité de ce projet est d'établir de nouvelles cibles thérapeutiques sur lesquelles l'ensemble de la communauté scientifique pourra travailler.  

4/ Quelles sont les suites de ce travail et les perspectives possibles ?
Le but ultime de ce projet est de trouver un traitement thérapeutique. Pour cela il faut trouver la défaillance étant à l’origine des troubles observés. Notre hypothèse est qu’une altération de la localisation neuronale de KCC2 est une cause majeure d’une diminution de l’inhibition GABAergique du cerveau responsable des épilepsies. Grâce au financement obtenu auprès de la FFRE j'ai espoir de vérifier cette hypothèse. Si tel est le cas, une piste thérapeutique possible  serait de restaurer la localisation de KCC2. En collaboration avec une compagnie pharmaceutique, nous avons d'ores et déjà testé plusieurs dizaines de molécules pouvant potentiellement agir sur KCC2 et rétablir son fonctionnement. Certaines de ces molécules semblent déjà présenter des résultats prometteurs sur des modèles in vitro. Nous souhaitons donc par la suite les tester in vivo sur notre modèle afin de valider notre hypothèse.
Cependant nous ne savons pas si l’ensemble des mutations retrouvées chez l’homme modifient la localisation de KCC2 ou si elles ont d’autres effets sur la proteine. Dernièrement, nous avons initié une nouvelle collaboration avec le Dr G. Lesca (Maître de Conférence-Praticien Hospitalier du CHU de Lyon) qui a découvert deux nouveaux variants de KCC2 à l'état hétérozygotes chez un enfant présentant une épilepsie partielle migrante à début précoce et évolution sévère. Notre but futur sera donc de déterminer les conséquences fonctionnelles de ces mutations, c’est-à-dire déterminer l’impact de ces mutations sur la localisation et le fonctionnement de KCC2.

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