Épilepsie contrôlée et travail : quelles possibilités ?

Épilepsie contrôlée et travail : quelles possibilités ? Quels acteurs ? Faut-il en parler à son employeur ?


Intervenants :
Pr Sophie Dupont, neurologue épileptologue à la Pitié-Salpêtrière, Paris
Dr Luc Fontana, médecin du travail, chef de service au CHU de Saint-Étienne
Mme Françoise Perrichon, patiente
Mme Maguy Estadieu, patiente


Épilepsie contrôlée et travail : état des lieux

Pr Sophie Dupont
Le Pr Sophie Dupont a commencé son exposé en rappelant que si 70 % des épileptiques en âge de travailler ont un emploi, 10 % des personnes ayant une pathologie lourde n’ont pas d’emploi
et 20 % des épileptiques rencontrent des difficultés à maintenir une activité professionnelle.
La question du travail dans un contexte d’épilepsie implique un dialogue à trois, entre le médecin référent, le médecin du travail et le patient. C’est un enjeu crucial, notamment pour le maintien au travail et l’aménagement du poste de travail.

Épilepsie et législation du travail : les métiers interdits par la loi et les métiers nécessitant un aménagement
Le Pr Dupont rappelle que certains métiers sont interdits par la loi aux personnes épileptiques, même stabilisées, afin d’assurer leur sécurité et celle de leur entourage :

  • Postes de sécurité à la SNCF, personnel roulant
  • Pilotes et contrôleurs aériens, personnel navigant dans l’aviation civile (bien qu’il
  • existe quelques exceptions dans cette dernière catégorie)
  • Forces de l’ordre avec armes
  • Démineurs, professionnels travaillant avec des rayonnements ionisants
  • Pompiers
  • Marine marchande
  • Plongeurs professionnels ou travail en caisson

Pour d’autres métiers qui ne sont pas interdits, mais présentent un risque particulier en fonction du type d’épilepsie, un aménagement du poste de travail peut être exigé :

  • Conduite d’engins
  • Conduite de véhicules légers à titre professionnel
  • Travail isolé, posté ou décalé
  • Travail avec des machines dangereuses

Il s’agit alors d’une évaluation au cas par cas, précise Sophie Dupont, avec un dialogue qui passe par le patient : le médecin référent n’échange pas directement avec le médecin du travail. Il faut fournir des éléments sur le type de crise, la fréquence des crises, l’évolution envisageable de la maladie. Le traitement est également à prendre en compte. Le médecin du travail décide alors au regard du dossier s’il y a aptitude ou non au poste de travail et si un aménagement doit être mis en place.
Pour le Pr Dupont, c’est la notion de dangerosité pour le patient, ses collègues et son entourage qui préside à ce choix. Il s’agit d’une évaluation pragmatique qui prend en compte différents éléments, outre ceux déjà cités : le permis de conduire est-il nécessaire ou pas ? Existe-t-il un risque de “dette de sommeil” ? Des comorbidités préjudiciables ? Le caractère sédatif des médicaments (avec un effet dose) peut-il avoir un impact ? Un environnement professionnel bruyant risque-t-il d’affecter le malade ?
Quant au travail sur écran, Sophie Dupont précise qu’il existe une grande permissivité pour les épilepsies photosensibles, car ce sont des maladies particulières qui dépendent de l’âge, mais cela ne concerne pas toutes les épilepsies.

Discussion
➔ Jacques Draussin : « Qui décide de l’aptitude au travail ou de la nécessité d’aménager un poste de travail ? »
Pr Sophie Dupont : « Si le médecin référent renseigne le médecin du travail, c’est ce dernier qui prend les décisions. »
➔ Question dans la salle : « Qu’en est-il de la conduite d’engins ou de véhicules à titre professionnel ? »
Pr Sophie Dupont : « Pour la conduite d’engins de type chariots élévateurs, nacelles, engins de chantiers, il faut obtenir le certificat d’aptitude à la conduite en sécurité (CACES), délivré pour 1 à 5 ans en fonction du type d’engin. Il n’existe pas de législation spécifique, l’agrément suit le même raisonnement que celui qui préside à l’agrément pour le permis B (voir compte rendu du colloque “Vivre au quotidien avec l’épilepsie en 2017”). Quant à la conduite de véhicules à titre professionnel, le problème, c’est que peu d’entreprises acceptent d’attendre 10 ans sans crises… Il faut donc envisager un reclassement. »
➔ Jacques Draussin : « Les préconisations du médecin référent risquent-elles de ne pas être suivies d’effet ? »
Pr Sophie Dupont : « Les médecins du travail sont en quelque sorte les “avocats des salariés”. Ils font de leur mieux pour maintenir l’emploi, éventuellement en aménageant le poste de travail. »


Rôle et statut du médecin du travail
Dr Luc Fontana
Avant tout, précise Luc Fontana, le médecin du travail est un médecin salarié qui exerce au sein d’un service de santé au travail (SST). Il est à la fois le conseiller de l’employeur, des salariés, des représentants du personnel et des services sociaux. Il est autonome sur le plan professionnel et indépendant dans l’exercice de ses fonctions, ce que garantit le Code du travail et la déontologie médicale.
Le médecin du travail anime et coordonne une équipe pluridisciplinaire et s’occupe du suivi individuel de l’état de santé des salariés en autonomie dans le domaine médical, sans aucune intervention de l’employeur.

La surveillance de la santé des salariés
Le médecin du travail assure la surveillance de la santé des salariés, y compris ceux qui sont exposés à des risques particuliers. Dans ce cadre, il se prononce sur l’aptitude ou l’inaptitude au travail. Lorsqu’un salarié occupe un poste sans particularités, une visite médicale est effectuée tous les cinq ans par un infirmier de santé.
Pour les salariés exposés à un risque particulier, le médecin du travail effectue une visite de pré-embauche et un suivi médical tous les 4 ans au minimum.
Après un arrêt de travail de longue durée, le médecin du travail réalise une visite de pré-reprise du travail pour s’assurer qu’une pathologie chronique n’entraîne pas de conséquence pour le salarié qui reprend le travail.

Le médecin du travail devant un malade présentant une épilepsie
Pour le Dr Fontana, les paramètres cliniques à prendre en compte par le médecin du travail pour décider de l’aptitude ou l’inaptitude en cas d’épilepsie sont les suivants :

  • confirmation du diagnostic,
  • maladie et type de crises,
  • efficacité du traitement,
  • troubles cognitifs,
  • effets secondaires des médicaments,
  • mode de vie,
  • suivi médical et connaissance de la maladie.

La communication entre le patient, le médecin référent et le médecin du travail est essentielle. Elle se fait dans le respect du secret médical : le médecin du travail fait un courrier au patient qui fait un courrier au neurologue. Le neurologue fait un courrier au patient qui écrit au médecin du travail. Pour le Dr Fontana, il est important que le patient soit informé de l’intérêt de cette démarche et de son intérêt à ne pas cacher sa maladie.
La connaissance du poste de travail, qui est de la compétence du médecin du travail et de son équipe pluridisciplinaire, est essentielle. En effet, un poste de travail peut favoriser les crises ou présenter un danger pour la personne épileptique ou son entourage. Le Dr Fontana explique que la décision du médecin du travail est prise au cas par cas en tenant compte de l’environnement de travail, de la bonne volonté du patient et de la taille de l’entreprise. Le médecin du travail peut se faire aider par des acteurs extérieurs comme les services d’appui au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (Sameth). Un bilan de compétences peut être réalisé.

Discussion
➔ Jacques Draussin : « Quels rapports le médecin du travail entretient-il avec l’employeur ? L’entreprise peut-elle vouloir se débarrasser d’un salarié ? Le fait de voir rarement un salarié joue-t-il un rôle ? »
Dr Luc Fontana : « Le principe, c’est le respect absolu du secret médical. Pour l’employeur, la taille de l’entreprise et la dépendance du salarié sont les points déterminants. Il cite l’exemple récent d’un jeune homme dans une entreprise de plomberie pour lequel l’employeur a maintenu l’apprentissage. Souvent, les salariés ne font pas état de leur maladie par méconnaissance de la médecine du travail. Il existe des consultations spécialisées “Épilepsie et Travail”, à Lyon et à Saint-Étienne notamment, qui regroupent neurologues et médecins du travail. »

Les propositions du médecin du travail

  • Maintien au poste de travail
  • Adaptation du poste de travail
  • Changement de poste avec une formation nécessaire le cas échéant
  • Inaptitude, toujours vécue comme un échec

En conclusion, le Dr Fontana ajoute que l’avis est toujours pris dans l’intérêt du salarié.

Les grands témoins de la FFRE

Témoignage de Mme Françoise Perrichon

« J’ai été diagnostiquée épileptique à 27 ans. J’ai fait un déni de ma maladie. J’avais une épilepsie idiopathique non visible à l’IRM et à l’EEG, avec des crises nocturnes, des absences, les doigts grippés. J’étais hagarde le matin avec un long moment pour reprendre pied dans la réalité. Je n’en avais jamais parlé à un médecin avant mes 27 ans. Je me suis endormie dans un fauteuil à la médiathèque et réveillée à la Salpêtrière avec cette annonce : « Vous êtes épileptique ».
J’étais affolée, cela me faisait peur, j’avais entendu des choses horribles. J’ai appris que l’on soignait cette pathologie à condition de prendre régulièrement ses médicaments. J’en ai parlé très peu à mes collègues, jamais à ma hiérarchie.
Il y a deux ans, j’ai été témoin de la crise d’un collègue tombé en convulsion. Je lui ai porté secours. J’ai expliqué à ma chef ce qui se passait et je lui ai tout raconté le soir quand elle m’a convoquée. Elle m’a demandé si j’avais eu peur en me disant « Vous savez, il est épileptique ». Je lui ai répondu : « Moi aussi ». Elle m’a dit qu’elle avait eu un collègue épileptique et pharmaco-résistant pour qui la vie était difficile. Dans les jours qui ont suivi, elle m’a considérée avec beaucoup de bienveillance, elle pratiquait une sorte de “discrimination positive”. Cela m’a mise un peu mal à l’aise. Je demande juste l’acceptation de ma maladie. Je veux simplement être écoutée par ma hiérarchie, et je ne veux pas mettre ma maladie en avant, mais je ne m’attendais pas à ce que ma chef connaisse aussi bien l’épilepsie. »

Témoignage de Mme Maguy Estadieu

«Ma maladie a commencé à l’âge de 18 ans. J’ai eu une enfance tranquille, mais 20 ans d’absences, dont des absences au volant. Mes parents ne savaient pas que je faisais des crises. À 23 ans, j’ai eu une première crise d’épilepsie vraiment reconnue et après une hospitalisation le diagnostic a été posé.
J’ai beaucoup de chance, je travaille et je suis stabilisée. Je suis mariée, j’ai des enfants. J’ai fait de ma maladie ma meilleure amie : une meilleure amie, on en prend soin, je fais pareil avec l’épilepsie. J’ai une hygiène de vie irréprochable, je fais du sport, je n’ai pas de dette de sommeil et je prends consciencieusement mes médicaments.
Mon entourage n’osait pas parler de mon épilepsie. Je travaille dans l’entreprise familiale de 50 salariés et mes collègues, pour certains, ne voulaient pas en parler.
À titre personnel, je pense qu’il faut en parler, sans pour autant le dire à tout le monde. J’organise depuis bientôt 3 ans une randonnée pour collecter des fonds pour la FFRE dans mon village de 3 000 habitants. À cette occasion, une personne du village me demande : « Tu connais quelqu’un qui a cette maladie ? » Je lui réponds : « La personne qui a cette maladie, elle est en face de toi!».
Je suis là, je suis bien, il y a pire. Il faut le dire haut et fort. On peut mener une vie normale. L’épilepsie n’a rien de surnaturel, comme persistent à le croire certains Français selon le sondage Odoxa commandé par la FFRE. »

Discussion
➔ Question dans la salle : « Qu’en est-il de la responsabilité́ en cas d’accident par rapport au permis de conduire ? »
Pr Sophie Dupont : « Le médecin référent du patient est tenu de l’informer de la législation et de la nécessité d’avoir une épilepsie stabilisée pour conduire, mais il est également tenu au secret professionnel. C’est donc le patient qui est responsable s’il conduit et a un accident alors qu’il ne devait pas conduire. Quand le médecin référent donne l’information au patient, cela est noté dans le dossier médical. S’il y a un accident très grave, le dossier médical peut être transmis à la justice, alors le secret médical tombe. »
➔ Question dans la salle : « Je travaille dans la fonction publique hospitalière. Selon le médecin expert, je suis apte, pourtant afin d’être titularisé je dois subir une visite médicale chez le généraliste. Je trouve cela discriminant, qu’en pensez-vous ? »
Dr Luc Fontana : « Il faut passer devant un médecin agréé pour être titularisé dans la fonction publique, c’est le cas de tous les fonctionnaires, cela ne touche pas que les personnes épileptiques. »
➔ Question dans la salle : « Après une opération, quel délai faut-il respecter pour avoir un permis en règle ? »
Pr Sophie Dupont : « La loi dispose qu’il faut un an de recul pour passer le permis. Toutefois, cela dépend des équipes, du protocole, et c’est au cas par cas que la question est examinée. Il faut aussi tenir compte des 6 mois d’attente nécessaires après un changement de traitement. »
➔ Question dans la salle : « Peut-on travailler dans l’Éducation nationale quand on est épileptique ? »
Pr Sophie Dupont : « À l’origine, les métiers de l’Éducation nationale étaient interdits aux épileptiques. Depuis 5 ou 6 ans, ce n’est plus vrai, les dossiers sont examinés au cas par cas. »
➔ Question dans la salle : « Je souhaite travailler dans la fonction publique, mais j’ai une épilepsie pharmaco-résistante, est-ce possible ? »
Dr Luc Fontana : « Cela est possible. Il faut avoir en tête que pour l’État, la question est avant tout de s’assurer qu’à l’avenir la personne épileptique n’impute pas une maladie à l’État employeur. »
➔ Question dans la salle : « Aux États-Unis, il existe des bracelets d’identification qui permettent de mieux inclure les épileptiques dans la société. Pourquoi ne pas développer ce système en France ? »
Pr Luc Fontana : « Le secret médical est un absolu. Les associations apprennent aux patients comment présenter un problème de santé aux collègues et aux employeurs. »

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